Écosse 2018 – « Le train arrive sans crier gare. » (Sylvain Tesson)

Prise d’un élan de nostalgie, je partage avec vous aujourd’hui le récit de mon voyage en Écosse de la fin d’année 2017 – début d’année 2018 !

Vendredi 29 décembre

Nous sommes le 29 décembre et je pars. J’ai rempli mon sac à dos de vêtements, de chaussettes d’hiver et de biscuits et embarque pour quatorze heures de train, direction le nord. Six heures du matin un vendredi, je quitte la gare de Dijon l’estomac noué, me demandant quelle mouche m’a piquée. L’excitation de la veille a laissé place à une angoisse sourde mêlée de fatigue.

What am I doing what am I doing

Je ne suis pas encore accoutumée au poids du sac qui ankylose mon dos.

Lille. Gare glaciale. Les douanes. Enfin une salle chauffée. Tout ce monde va-t-il traverser la Manche avec moi ?

Arrivée à Edimbourg, 20h15

Je retrouve X et Y après quelques minutes de recherche dans la gare sombre, gelée. J’y suis enfin. Nous marchons trente minutes dans le froid, traversant la ville que je découvrirais plus tard en plein jour. Le verglas recouvre tous les trottoirs, j’expérimente mes premiers passages piétons britanniques ; regard à droite, puis à gauche. Je me dis que je devrais garder les cheveux attachés en permanence pour améliorer ma vision périphérique et rentrer vivante.

Y m’héberge quelques jours avant mon départ pour le Grand Tour*. Fatiguée après ces heures passées sur le rail, je m’endors en pensant au lendemain. J’y suis.

 

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Je suis tous les jours des récits de voyageurs et de voyageuses qui s’expatrient à l’autre bout du monde et s’immergent dans des vies bien différentes de celle menées par les Occidentaux. Il m’est arrivé de me dire que mon voyage ne tenait pas la comparaison : je ne partais que pour trois semaines, avec quelques économies et dans un pays dont je connaissais bien la langue. Avant le départ, la facilité théorique de mon escapade me rassurait.

Première visite d’Edimbourg

Je parcours la ville de part en part, en compagnie de X et Y. Avant mon arrivée, il a neigé. Les flocons se sont tassés et ont multiplié les plaques de verglas à travers l’immensité urbaine. Au bord des quais des quartiers du sud-ouest, nous longeons l’eau verglacée dans la pénombre, guidés par les lueurs lointaines des lampadaires qui s’érigent en guides, verticaux sur leurs ponts de métal.

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C’est beau, une ville la nuit. Je crois que je me souviendrai toujours de l’impression d’infini ressentie à ce moment-là, le premier soir du voyage. L’impression d’accomplir quelque chose pour soi et qui amorce une nouvelle étape dans la vie, cet instant que l’on sait cliché et usé dans toutes les représentations que l’on en a lu ou vu ailleurs, chez d’autres, mais qui nous paraît infiniment singulier lorsqu’on le rencontre pour soi, pour la première fois. On en rêve, puis un beau jour c’est là, devant soi, et on  ne sait plus quoi penser, et même si toute pensée est légitime.

Je me suis sur-préparée pour ce voyage. Toutes les auberges sont déjà réservées, j’ai établi un itinéraire précis qui ne laisse pas beaucoup de place au hasard. Cadenas, lampe frontale, couverture de survie, quelques amandes à grignoter pendant le trajet.

Pourquoi est-ce que je fais ça moi, déjà ?

Quand on arrive, on pense qu’on ne s’y fera jamais. Au bout de quelques jours, même sur une période de trois semaines, l’ailleurs devient un quotidien. Je n’irais pas jusqu’à parler de routine, car chaque jour est différent, et la progression sur un itinéraire nous empêche de répéter tous les jours le même schéma.

Dans l’absolu, il faut éviter de penser sans cesse à l’itinéraire, au risque de se transporter déjà mentalement dans le jour suivant et ne pas profiter de l’endroit où on se trouve déjà.

Pourquoi on part en voyage ?

Fuit-on quelque chose ou est-on positivement attirés par la destination ? Tout le monde a ses raisons, et une phrase de Sylvain Tesson me revient en mémoire :

Il est rare en voyage de vivre des jours conformes aux idées que l’on s’étaient forgées avant les grands départs. D’habitude, voyager c’est faire voir du pays à sa déception.

Je pars donc en quête de quelque chose. Mais de quoi ?

Ou encore :

L’homme n’est jamais content de son sort, il aspire à autre chose, cultive l’esprit de contradiction, se propulse hors de l’instant. L’insatisfaction est le moteur de ses actes.

Nouvel An

Chez Y, en compagnie de X. Arrivent progressivement tous nos contacts de « Nouvel An », des français en voyage ou au pair à Edimbourg, venus nous rencontrer pour fêter la nouvelle année. Il y a A, jeune fille au pair qui étudie l’enseignement du Français Langue Etrangère (FLE), M son amie sur place, et nous rejoindront plus tard dans la soirée V, une voyageuse de l’armée de l’air française et un de ses amis. Je me souviendrai toujours de ce moment, nous nous connaissons à peine mais nous cuisinons ensemble, à mille kilomètres ou plus de la maison. Peu avant minuit, nous enfilons nos manteaux d’hiver pour nous diriger, imbibés de quelques verres, vers le centre. Nous finissons accoudés à un pont de ferraille au cœur du centre-ville, au-dessus d’une rue passante, dénichant ainsi le spot idéal : le château d’Edimbourg à l’horizon, illuminé de mille feux, se dresse parfaitement encadré entre deux rangées de maisons de pierre grise.

Je me suis souviens parfaitement de ce moment. Lorsque l’horloge sonna minuit, nous nous sommes tous enlacés et nos homologues écossais aussi présents sur le pont étaient aussi d’humeur joviale. Il me semble que nous avions nos verres de crémant, mais je n’en suis pas sûre. X, Y, A et moi sommes rentrés chez Y pour un dernier verre de chartreuse.

2 janvier, dans la matinée

Départ pour la région du Loch Lomond. Changement de train à Glasgow, ville dont je ne verrai que la gare. Je n’arrive pas à m’habituer aux bornes qui donnent accès au train, je ne choisis jamais le bon ticket à valider et me retrouve bloquée, attendant un agent, tel un sac bleu de 60L sur pattes qui me désigne en tant que touriste à 6000 km à la ronde.

Arrivée à Ardlui.P_20180104_110659.jpg Un petit village essentiellement composé d’un hôtel-restaurant, d’un port de pêche, et d’une gare à deux voies. Je suis la seule voyageuse de l’hôtel, on me donne la meilleure chambre  alors que j’avais réservé la plus petite : le bonheur. Je commence à ressentir la solitude : rien qu’un ou deux épisodes de Black Mirror ne puissent pas compenser, en cette nuit fraîche et brumeuse, bien au chaud dans un lit gigantesque aux mille oreillers.

C’est quand même étonnant, le voyage. On sort de sa chambre le matin, on se force quand même à se lever avant dix heures, et la seule chose qui nous attend est le vagabondage. La liberté totale d’aller et venir dans les environs.

Ce jour-là, il pleut. Ca ne m’empêche pas de parcourir tout le port de Ardlui, armée de ma doudoune extralarge et ultraépaisse, et de mes bottes étanches.

Le lendemain, je prends un train pour le nord. J’observe le paysage défiler depuis le train et tente d’envoyer des sms pour prévenir de l’absence probable de réseau d’ici une dizaine de minutes. Message non envoyé. J’éteins mon téléphone, il ne me servira plus à rien jusqu’à demain.

Le quai est désert. Je sors du train, mon barda sur les épaules, et fais mine de regarder le paysage de mon côté du quai pour laisser le train redémarrer avant de traverser la voie. Le chauffeur, coude reposé sur la vitre de sa cabine, me fait signe de traverser et me laisse aimablement rejoindre l’autre quai. Sympa les Ecossais.

Je fais des allées et venues le long du quai qui longe la station, qui se compose modestement d’un long bâtiment de plein pied aux nombreuses fenêtres en baie blanches, rendues opaques par de lourds rideaux rouges. Personne ?

La propriétaire des lieux vient à ma rencontre, une petite dame, très aimable. Elle me signale que je suis la seule voyageuse de passage aujourd’hui, et même à cette saison. Rien à manger dans la cuisine : mon maigre sandwich au fromage blanc sera donc l’essentiel de mon repas ce soir et demain midi ; le seul train de la journée vient de repartir. On ne se laisse pas abattre et on improvise.

La nuit arrive. Seule, installée dans la chambre à bunkbeds, je me réjouis d’être isolée, au milieu de nulle part.

Avant d’angoisser

Et c’est là que je commence à avoir les chocottes.

Un long couloir entrecoupé de portes isolantes sépare deux rangées de chambres, toutes meublées de lits superposés en bois massif. Cet endroit me fait déjà peur, je me prends à m’imaginer la nuit, traversant ce couloir pour me rendre jusqu’aux douches. Ni réseau, ni wifi, et un sandwich pour deux repas : le dépaysement total.

Une soirée entière, une nuit entière, une matinée entière sans communiquer avec qui que ce soit. Je me suis sentie très seule, mais pas « terriblement » seule. Je n’avais jamais vécu la solitude et l’isolement à ce degré-là. Mes seuls amis pendant une journée et demie ont été les guides touristiques entreposés dans la cantine, les cartes de sentiers, les épais rideaux rouges que j’ouvrais par moments pour jeter un œil dehors, et les trains de nuit qui s’arrêtaient à la station pendant trente secondes puis repartaient comme des morceaux de nuit à jamais envolés.

Aujourd’hui est un jour nouveau. Réveillée vers onze heures, j’enfile mes vêtements les plus chauds et part à la rencontre du froid ; au bout du sentier, je m’engage sur la nationale, marche sur le bord de la route sur une herbe boueuse à souhait et finis par prendre un embranchement sur la gauche, qui semble mener à un chemin de gravillons serpentant à travers les champs. Le réseau revient doucement sur mon téléphone, je passe quelques coups de fil pour rassurer et rentre au bercail – temporaire – après deux heures et demi de marche. J’avale ma deuxième moitié de sandwich.

Fort William

J’arrive seule, encore. Mais je commence à m’y habituer. J’entre donc pour la première fois dans une auberge de jeunesse, et c’est exactement ce que je m’étais imaginé. J’attends timidement dans un salon en compagnie d’une jeune néerlandaise et d’un américain, je repère vite une guitare à moitié cachée par un rideau et décide de commencer ma sociabilisation par quelques accords.

Ainsi, le lendemain, je me retrouve dans la voiture d’une Écossaise en compagnie de ma première interlocutrice de la veille. Nous sommes trois, aucune de nous ne se connaissait la veille et nous roulons en direction des cascades de la Steall Waterfall ; un endroit à couper le souffle. Ce lieu m’évoque une vallée déserte, inhabitée, à l’époque des dinosaures. Un immense creux entre deux chaînes de montagnes, un renfoncement naturel de calme :

Arrivée à Portree

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Bus de Fort William à Portree. Direction la principale ville de l’île de Skye. J’aperçois l’île pour la première fois à la tombée de la nuit et profite du coucher de soleil depuis la vitre humide du bus.

J’arrive de nuit à Portree, à côté de l’Independent Youth Hostel, un ancien bureau de poste reconverti en auberge de jeunesse !

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Perdue dans les landes

Je m’embarque pour une promenade : le sentier de Scorrybreac débute au nord de Portree, au bord de l’eau et des élevages de saumons. Pas un chat ! Mais en hiver par -5°C, rien d’étonnant. Ma doudoune me tient si chaud qu’au bout de quelques dizaines de minutes de marche, elle devient superflue. Je continue mon chemin et termine dans un pré de moutons, qui me toisent d’un air interrogateur : « Mais, ce n’est pas un mouton ?« 

J’arrive au sommet de cette colline, complètement vidée de mon énergie vitale. Mon dernier réflexe est d’enlever la doudoune, les chaussures, et de m’allonger toute transpirante mais contente de moi, sur le plateau herbeux qui me paraît maintenant si proche du ciel.

C’était ma petite folie. Étant seule, je ne voulais pas prendre de risques inconsidérés, mais je me suis tout de même éloignée du sentier et ai grimpé sur une colline (qui d’après les efforts déployés pour l’escalader, s’apparentait davantage à une semi-montagne). Une fois montée, je suis redescendue à travers les pâturages, en traversant quelques barrières barbelées en prenant bien soin d’y poser mon manteau épais avant l’enjambement. Les flaques de glace se confondaient avec la teinte de l’herbe et de la bruyère, si bien que j’y ai plongé mes pieds jusqu’à mi-cuisse avant de regagner un terrain plus stable qui m’éloignait alors inévitablement du sentier que je souhaitais atteindre.

Une fois rentrée à l’auberge, je comprends qu’il s’agit du point d’orgue de mon voyage et je réalise que je viens de traverser la moitié de l’Ecosse, seule, en sac à dos, possibilité que je n’aurais jamais envisagée six ou sept mois auparavant.

Pourquoi est-ce que je n’avais pas fait ça plus tôt ?

Qu’est-ce qui m’en empêchait ?

Il me fallait simplement un déclic. Depuis des mois, je songeais à mon départ et à l’effort mental que ces trois semaines me demanderaient ; une fois sur place, trop émerveillée d’y être enfin, j’oubliais l’idée que cette escapade était une sortie de ma zone de confort pour ranger l’expérience dans une sorte d’élargissement de cette fameuse zone de confort. J’étais bien. Il m’a semblé, pendant ces quelques semaines, que la rencontre de l’étranger était bien plus aisée que la rencontre de mes propres voisins. Jamais vraiment intimidée ou gênée à l’idée de poser une question, certaines situations sociales m’étaient alors plus faciles en terrain étranger qu’en terrain familier. Comme si, l’étranger devenu familier par obligation – voyager seul c’est aussi être impérativement confronté à l’interaction sociale, car pas de bulle de groupe -, ma capacité à aller au devant des gens était devenue naturelle.

« Le voyageur voit ce qu’il voit, le touriste voit ce qu’il est venu voir »

Gilbert Keith Chesterton

Inverness

Le beau temps est au rendez-vous ! Les images parlent d’elles-mêmes :

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Aviemore et ses forêts enneigées

L’auberge d’Aviemore est le lieu fétiche de toute une communauté d’amateurs de sports d’hiver, mais je ne les ai malheureusement pas rencontrés. En pleine semaine de janvier, alors que toute la population salariée en âge d’apprécier le ski est au travail, je débarque dans cette auberge immense, qui s’étend sur un unique rez-de-chaussée, un long couloir de chambres et de buanderies, un immense salon à baie vitrée avec canapés et une grande cuisine. Les environs sont boisés et se déclinent en tons de brun (les arbres) et de blanc. Je marche et traverse la ville (qui s’allonge sur une route principale et se déverse dans ses artères perpendiculaires) de long en large. Le lendemain et une quinzaine de kilomètres plus tard, en prenant soin à chaque fin de balade de toujours rentrer avant la tombée de la nuit, je quitte ce havre de paix et de neige. Direction une cité historique…

Stirling

Je suis presque à la fin du périple. A la sortie du train, je me dirige, un peu anxieuse à cause de la nuit déjà tombée, vers la sortie de la gare. Je traverse une route avec assurance, enfin habituée à regarder à droite, puis à gauche, et m’engage dans une rue commerçante pentue et courbe. Cette rue piétonne me fait penser à la rue à mezzanine d’Edimbourg, Victoria Street. Je débouche sur la rue principale et aperçois immédiatement mon auberge de jeunesse, au loin, sur ma gauche, en face d’une épicerie de nuit.

Je vais enfin pouvoir me reposer.

Je repense à mon trajet. La boucle partait d’Edimbourg, a continué vers le nord-est en direction de Fort William, sans oublier mon bref passage à la gare de Glasgow, puis un samedi et un dimanche à Portree qui ont été, sans aucun doute, le point d’orgue du voyage… Pour enfin continuer et, à Inverness, rencontrer une Canadienne professeur de karaté, rockeuse et joueuse à ses heures ; une française photographe amatrice d’oiseaux et un ornithologue passionné, lui aussi français. Aviemore et ses bois enneigés. Arrivée à Stirling, je me retrouve de nouveau seule. Je check in, monte dans mes appartements – une chambre entière, à moi toute seule. Pas de chauffage ; problème rapidement résolu. Je choisis mon lit, défais mes bagages et décide d’aller marcher (<- résumé de la routine des auberges de jeunesse)

Sur trois semaines de voyage, on arrive à se faire à l’idée qu’en arrivant, malgré la fatigue, on s’oblige irrémédiablement à réenfiler ses chaussures et à partir déambuler dans les rues. Je ne suis pas quelqu’un de très extraverti donc cette première promenade dans Stirling est une promenade solitaire. Je marche jusqu’aux rues plus silencieuses, monte des marches au bout d’une impasse et me rend compte que le haut des escaliers est un cul de sac, où le sol est jonché de bouteilles de verre et de vieilles ronces. Redescendue, mon estomac me rappelle à l’ordre et sans que je comprenne comment, je me retrouve face à la devanture d’un fast-food italien, où je discute quelques minutes avec le chef ; un ou deux habitués passent, me toisent et reprennent leur discussion avec le patron. Un match de foot passe à la télé, entrecoupé de clips de pop et d’informations locales (des affaires d’enlèvement d’enfants en Ecosse, si mes souvenirs sont bons ?]. C’est à mon tour ; le patron italien parle un peu français ; j’aborde un sujet familier, observant les bouteilles de vin français derrière lui, certains jurassiens, un Bordeaux et un Bourgogne. Échange de banalités.

« Les souvenirs d’un homme constituent sa propre bibliothèque. »

Aldous Huxley

De retour à l’auberge avec mes spaghetti aux fruits de mer et des restes de sushis, je dévore tout en une vingtaine de minutes et reprend mes exercices d’allemand (réviser pour les examens en plein voyage, quelle plaie !).

Du bruit dehors. J’écarte les lourds volets intérieurs de la chambre (elle en comptait 6 pour les 3 fenêtres), essuie la buée sur la vitre et regarde à l’extérieur. Ce soir, les jeunes sont de sortie. Des bandes de 3 à 10 personnes dévalent la rue d’une démarche mi-titubante mi-assurée, certains sont imbibés d’alcool et prennent la vie joyeusement. Ils s’arrêtent parfois devant le jeune guitariste qui fait la manche, assis sur un tabouret bancal. Certains passants évitent au dernier moment de donner un coup de pied maladroit au gobelet qu’il a posé devant lui. Des couples ralentissent, main dans la main, pour écouter la mélodie. Une femme ralentit puis s’arrête devant le guitariste-mendiant, s’assoit à côté de lui, lui fait tirer une latte de sa cigarette et remue la tête en rythme pour l’encourager.

C’est pour ce genre de moment que je suis partie. C’est un beau paradoxe : voyager à plus de mille kilomètres de chez soi, pour apprécier des scènes de la vie urbaine nocturne, des scènes quotidiennes. Je suis bien restée une heure à observer la rue, seule dans ma chambre vide. C’est donc cela, l’extraordinaire que je suis venue chercher si loin de chez moi. Le plus étrange dans tout ça, c’est qu’ici, je me sens légitime à observer. Chez soi, on est un acteur, ailleurs, on se sent bien dans la peau de l’observateur. Après tout, l’une des motivations principales du voyageur reste la contemplation. Je suis convaincue que si on introduisait davantage de contemplation dans nos vies, chez nous, dans nos lieux communs, on n’aurait pas besoin de voyager autant (dans l’esprit, ou par le train), et on ne serait pas si mélancolique en repensant aux instants qu’on a vécus à observer l’ailleurs.

St. Andrews

Week-end du 13-14 janvier // Température : aux alentours de 0°C

J’ai attendu St. Andrews avec impatience. Une ville universitaire de pierre grise, au bord de la mer du Nord !

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Tout à fait rassurant

Beaucoup d’Écossais promènent leurs chiens sur la plage, je prends mon temps et traîne depuis le cimetière jusqu’aux ruines du château, en passant par les étendues herbeuses qui longent la grande plage… En traversant le cimetière de St.Andrews, je me dis que je suis une petite voyageuse qui marche au milieu des tombes un matin de janvier car quelques mois auparavant, l’idée de partir pour moi avait simplement surgi dans mon esprit. Sur les murs d’enceinte de la ville, une mouette squatte un carré d’herbe et entame une danse sur la pelouse pour berner les vers – la danse de la pluie – et les pousser à refaire surface.

Une plage de silence valait un royaume.

Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson

Les trois semaines se sont écoulées à une vitesse folle. Des choses ont changé dans ma manière de percevoir les choses, et surtout moi-même (petit interlude psychologie et un peu cliché). Je n’aurais jamais cru pouvoir partir seule, à plus de mille kilomètres, et encore moins vagabonder de ville en ville avec pour seul souci celui de trouver des compagnons de route sur mon itinéraire.

Partir seul(e) ?

Oui. Faites-le.

Remplissez intelligemment votre sac à dos (pas plus de 40L pour 3-4 semaines, il ne faudrait pas s’abîmer la colonne), tracez un itinéraire et réservez vos auberges avant de partir (en été) ou improvisez (en hiver, les hébergements ont toujours de la place).

Je ferai un article sur le remplissage de sac à dos (optimisation de l’espace, astuces de voyageur glanées sur des vidéos et des articles durant les mois précédant le départ, sites internet utiles) pour aborder les aspects pratiques du voyage, et les petits bons plans en fonction des villes !

L’Écosse est une merveilleuse destination pour un premier voyage en solo. Pour les femmes, pour les hommes, pour tout le monde. Voyager seul, c’est être toujours tourné vers l’autre : absolument toute action quotidienne nécessite de communiquer avec les « locals » (commerces, hôtels, ou simplement se faire des amis à l’auberge). Par ailleurs, les auberges sont pour la plupart très propres et décorées de mille couleurs – en plus d’être largement abordables.

Il n’est pas difficile de se nourrir sur un petit budget (grands magasins), et les villes d’Edimbourg et Glasgow sont des hubs qui vous permettent de vous rendre en train aussi bien dans les Lowlands que dans les Highlands. Pour les territoires manquant de maillage ferroviaire, les bus prennent facilement le relais (Citylink, Stagecoach).

Le 17 janvier

Je suis assise à côté d’une Anglaise dans l’Eurostar, elle me parle de sa fille qui vit à Lille. Elle pointe du doigt les nuages derrière la vitre embuée et sale du train et me dit qu’elle n’en a jamais vu de pareils : plusieurs « couches » qui se superposent comme les différents plans d’une carte postale : premier plan et arrière-plan de vapeur écrasant une rangée de duvets aériens anarchiques. Plus tard dans l’escalator qui mène au niveau principal de la gare française, elle me parle de The Man in Seat 61. Je ne connais pas, je lui dis que je jetterai un œil. Nous nous saluons et partons continuer nos vies.

J’en étais persuadé : le mouvement encourage la méditation. La preuve : les voyageurs ont toujours davantage d’idées au retour qu’au départ. Ils les ont saisies, chemin faisant. Leurs amis en font d’ailleurs les frais, cela s’appelle : les récits de voyage

Bérézina, Sylvain Tesson

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