Les Imaginales // Mary-Sue et Cie

Illustration : John Howe, pour le festival

Du mercredi 24 au dimanche 27 mai a eu lieu le festival des Imaginales à Epinal (Vosges) ! L’imaginaire, et plus spécifiquement les créatures, sont à l’honneur. L’occasion pour moi d’aller rencontrer Robin Hobb, auteure de l’Assassin Royal, ou encore de me rendre à l’exposition des illustrations de John Howe, directeur artistique du Seigneur des Anneaux et du Hobbit (Peter Jackson), mais aussi beaucoup d’autres !

L’occasion pour moi de revenir sur certaines notions inhérentes au processus d’écriture.

Le programme du festival des Imaginales 2018 (pdf)

Le programme est chargé. L’improvisation a remporté une belle victoire sur l’organisation.

  • Exposition « There and back again » (John Howe), Visions de Tolkien et d’ailleurs, à la Bibliothèque multimédia intercommunale d’Épinal.

« Écrivains, nous sommes tous des magiciens », « Rébellion dans la fantasy », la notion d’anti-héros, le processus de création des personnages… les auteurs présents au festival abordent des points essentiels sur l’écriture de romans de fantasy et de science-fiction, nous exposent les difficultés que peut rencontrer l’écrivain lorsqu’il souhaite développer son univers. La fantasy offre tant de liberté à l’auteur, mais cette liberté est un piège. L’insertion de son récit dans un genre particulier doit éveiller la méfiance de l’auteur qui, inspiré par ses lectures, et tendant à coller au genre en question, se risque aux clichés. Tout l’enjeu sera de gérer les clichés du genre pour y échapper. Ce n’est pas toujours facile. Nombreux sont ceux qui tentent de reproduire les récits de la Terre du Milieu ou, plutôt dans la young adult, créent un énième sorcier ou une énième sorcière, personnage démuni destiné à réaliser son destin d’élu car doté d’un pouvoir à nul autre pareil.

Au lieu de développer le contenu des conférences, que l’on peut aisément retrouver sur le site d’ActuSF, j’aimerais revenir sur quelques concepts ; je profite donc de ce petit espace pour aborder des réflexions que j’aurais aimé entendre sous les chapiteaux du festival…

La Mary-Sue, le Gary Stu et leurs dérivés

Mary-Sue est un nom péjoratif donné à un personnage de fiction trop parfait, très souvent la projection de l’auteur même dans un univers fictif.

D’où vient le stéréotype de Mary Sue ? À l’origine, d’une fanfiction parodique de Star Trek publiée dans un fanzine de la série, écrite par Paula Smith, qui reprend alors les tropes des pires fanfictions de l’époque : une jeune héroïne adolescente à demi-humaine rejoint l’équipage du vaisseau, noue avec ses membres des relations de nature diverse, part à l’aventure et meurt dans des circonstances héroïques. Il s’agit d’un personnage idéalisé, trop parfait pour être réaliste et qui nourrit les fantasmes des fans.

Les personnages idéaux aux pouvoirs exceptionnels sautent souvent aux yeux du lecteur : un tel tient une place centrale dans l’univers, doit accomplir un destin prophétique et est destiné à mettre un terme à l’éternel combat entre le Bien et le Mal. Pour remédier à cette impression d’artificialité, en tant qu’auteur, on peut être tenté d’injecter aux personnages des défauts. Mais toute la problématique réside dans la manière d’aborder ces défauts : il m’est arrivé, lors de mes premières (et modestes) productions de petite fille de 9 ans découvrant l’écriture, de créer « Kyra, 12 ans, orpheline de père et de mère, se réveillant dans un monde blanc comme neige, découvrant ses capacités magiques et suivant l’enseignement d’une fée magnifique aux pouvoirs illimités ». Plusieurs années ont passé, et en relisant les quelques pages que j’avais alors écrites, j’ai ri et j’ai bien vu où était le problème. Le manque criant de nuances. Au-delà de cette héroïne, reflet de l’ego de l’enfant de 8 ans que j’étais, et de cette fée qui représentait l’idée que je me faisais de la femme adulte (belle et puissante) que je souhaitais éventuellement devenir, il y avait aussi la découverte de l’écriture et le reflet stétéotypé de mes lectures d’alors : Harry Potter, Molly Moon, Tara Duncan. Quand on commence à écrire tôt, on tombe dans les clichés de genre le plus naturellement du monde. J’écrivais des Mary-Sue. Des pseudo-fanfictions copiées d’univers déjà vus ailleurs. Que je ne terminais jamais, car écrire me permettait simplement de créer des personnages sans nuances, sans défauts, pour compenser grossièrement avec un certain mal-être, qu’on rencontre toujours quand on est un enfant entrant dans la vie sociale où les apparences et l’affirmation au sein d’un groupe prennent une importance croissante.

En attribuant des caractéristiques plus négatives à un personnage, il semble évident que les défauts ne passent que plus facilement dans l’histoire que s’ils sont introduits dans des situations et non des descriptions. Mais il s’agit là encore d’une préférence personnelle. Préféreriez-vous une liste de défauts ou la manifestation de ces défauts dans le récit ?

Il existe plusieurs dérivés de la Mary-Sue et du Gary Stu (son équivalent masculin) : l’Angsty Sue est une Mary-Sue au passé si torturé qu’il sent la construction artificielle à plein nez. L’Anti-Sue reprend l’idée du paragraphe suivant : l’injection excessive de défauts, visant ouvertement à contrer l’écueil de la création d’une Mary-Sue. Le résultat est souvent un anti-héros sans saveur. Et la Villain Sue (le Mal, c’est cool).

La projection d’un personnage aux pensées et aspirations calquées sur celles de l’homme ou de la femme moderne (caractères, valeurs morales occidentales ?) au sein d’un monde de fiction ouvertement inspiré d’un contexte historique précis (le Moyen-Âge dans telle ou telle partie du monde) peut aussi parfois donner naissance à de nombreuses contradictions ou incohérences.

Faut-il nécessairement créer un anti-héros pour inventer un personnage nuancé et réaliste ? Un héros qui fait des erreurs est-il nécessairement un anti-héros ?

La réponse à cette question se fera dans l’écriture, dans la manière d’amener les nuances. 

Bilan des Imaginales

Une semaine au planning chargé, toutes les conférences sont intéressantes. Durant une grande majorité d’entre elles, l’accent est mis sur la promotion des livres par leurs auteurs respectifs, avec une importance particulière accordée à leurs personnages de fiction. Dommage que les questions des arbitres sous les tentes se limitent souvent au cadre des histoires présentées et n’élargissent pas l’analyse au genre de la fantasy en général, et à l’insertion de ces récits dans des problématiques littéraires plus larges, en tenant compte du riche héritage laissé par les Précurseurs (j’aurais aimé entendre davantage le nom de Moorcock, d’Howard ou de Lovecraft, des noms que je n’ai entendus que de la bouche de Patrick Moran durant la conférence « Les anti-héros et les vrais méchants »). Davantage d’histoire de la littérature de fantasy, en somme.

Ce festival offre une immersion dans l’univers éditorial de la fantasy d’aujourd’hui, l’occasion de rencontrer les auteurs qui font la fantasy (et la science-fiction) au 21ème siècle. Une tente ou deux réservées à la vente de livres d’occasion, où l’on peut retrouver les vieux titres qui ont constitué l’histoire du genre, satisferont l’appétit des nostalgiques de Cthulhu, Conan ou Elric.

Laisser un commentaire